LES DINDONS DE LA FARCE
Après avoir été
chasseur/braconnier jusqu'à l'âge de 22 ans, après avoir activement
participé avec quelques amis à la création des Conseils départementaux de
la chasse et de la faune sauvage (CDCFS) - ce devait être au début des
années 80 - après avoir essayé de promouvoir un dialogue entre chasseurs
et protecteurs, après avoir «commis» un essai sur «la chasse à la
française» publié en 1987, après avoir travaillé depuis une vingtaine
d'années au CDCFS de la Drôme, et dans une multitude de groupes de
réflexion tant au niveau national que local : je décide de démissionner du
CDCFS et de tirer un bilan de ces 20 années passées au front.
Le nouveau gouvernement est en train de réaliser
ce qu'il avait promis : rendre aux chasseurs français la totalité de leurs
privilèges (1). Les textes qui paraissent à un rythme soutenu sous la
houlette de Mme Bachelot (avec l'encouragement du chef du gouvernement et
du Président de la République) et ceux qui sont en train d'être votés dans
le cadre de la loi sur la «ruralité» vont au-delà des espérances des
chasseurs les plus radicaux.
Après la modeste tentative de la gauche pour
moderniser la chasse française, nous sommes revenus vingt ans en arrière.
Seules ont résisté les quelques mesures qui s'appuyaient sur la
réglementation européenne - et une jurisprudence constante, en notre
faveur, des tribunaux européens que nous avions saisis à de multiples
reprises (2).
Le CDCFS de la Drôme était devenu depuis deux ans
une mascarade, une farce où la faune sauvage drômoise et les représentants
des associations de protection de la nature jouent le rôle des dindons. Le
CDCFS, ce sont 3 parties en présence :
1- les chasseurs et leurs sympathisants (une
douzaine de personnes) ;
2- les associations d'étude et de protection de la
nature et une personnalité qualifiée proche des naturalistes (trois
personnes) et
3- l'administration, dont le Directeur
départemental de l'agriculture et de la forêt (DDAF), un technicien de la
DDAF et de manière variable, le préfet ou le secrétaire général de la
préfecture.
Malgré quelques rares exceptions, pour les CDCFS,
la règle du jeu est simple : la fédération des chasseurs demande toujours
plus d'espèces à chasser, toujours plus de temps pour chasser et toujours
plus d'animaux à tuer sans jamais rien justifier : il suffit de demander.
Les associations de protection de la nature doivent justifier par des
études ou des travaux incontestables toute mesure de protection ou de
réduction de la pression de chasse. Le moindre doute sur les arguments
scientifiques des associations de protection de la nature, la moindre
contestation de la part des chasseurs annule toute requête provenant des
associations.
Ne protéger que les espèces qui ont disparu...
Les chasseurs ont réussi à imposer trois principes
qui guident désormais les décisions de l'administration :
1/ s'agissant des espèces menacées, vulnérables ou
en voie d'extinction, si la chasse n'est pas la raison principale de la
disparition de l'espèce, la chasse peut se poursuivre (3) ;
2/ en cas de doute sur l'impact négatif de la
chasse sur une espèce dont les effectifs régressent : le doute doit
toujours bénéficier aux chasseurs qui peuvent continuer à tirer cette
espèce (4) et
3/ si dans une zone, même limitée, une espèce se
porte bien alors qu'elle est menacée, l'espèce peut être chassée sur
l'ensemble de la zone géographique où elle est encore présente. En clair,
toutes les espèces gibier doivent être chassées, sauf... celles qui ont
disparu. Des principes dignes d'une République bananière.
Comment ne pas dire que, dans cette instance
officielle, qui est censée être présidée par le préfet, les chasseurs
mènent le jeu et que l'administration de tutelle (Direction départementale
de l'agriculture et de la forêt - DDAF) essaie simplement de sauver la
face dans un contexte politique où les chasseurs ont tous les droits.
Sauver la face est bien le terme, car personne n'est dupe et chacun sait
(cerise sur le gâteau) qu'après les séances du CDCFS, le président de la
FDC de la Drôme rencontre souvent en tête-à-tête le préfet et que les
décisions sont prises à ce moment-là.
Préfet échange tétras lyre contre sanglier...
A ce stade, il est important de comprendre que la
seule espèce qui intéresse réellement la majorité des chasseurs drômois
est le sanglier ; que cette espèce est celle qui commet les dégâts les
plus importants, et que le Préfet, assailli par les plaintes des
agriculteurs, exigent que les chasseurs tuent le maximum de sangliers. Les
chasseurs, qui sentent le danger d'une trop forte pression de chasse sur
le sanglier, ne sont généralement pas très chauds pour prolonger la chasse
au-delà de la mi-janvier «il faut qu'il en reste suffisamment pour assurer
l'année suivante» (Le sanglier est ainsi la seule espèce sur laquelle les
chasseurs sont prêts à restreindre volontairement la chasse).
Pour le Préfet, le but du jeu, chaque année, est
donc de forcer les chasseurs à chasser plus de sangliers, c'est-à-dire,
prolonger la chasse au sanglier jusqu'au maximum autorisé : à la fin
février. En échange il lui faudra céder sur les caprices des chasseurs. Un
exemple : il y a deux ans, en échange de la prolongation de la chasse au
sanglier, le Préfet a donné au président des chasseurs l'autorisation de
tuer un peu plus de tétras lyre (les effectifs du tétras lyre pour toute
la Drôme sont de 200 oiseaux adultes maximum et toutes les études - dont
celles menées par l'Observatoire des galliformes de montagne, contrôlé par
les FDC - montrent que cette espèce s'éteint lentement mais sûrement dans
la Drôme depuis 15 ans... Le tétras lyre est une des cinq espèces
d'oiseaux drômois qui pourraient bien disparaître de la Drôme dans les dix
prochaines années).
Chamois drômois et grand public : le début de la
fin
Depuis trois ou quatre années, la courbe des
effectifs de chamois se tasse et des clignotants rouges s'allument un peu
partout dans la Drôme (Les associations de protection de la nature
drômoises effectuent annuellement, à leur frais, des comptages sur cinq
sites témoins depuis vingt ans). Plus de 450 chamois à tuer en 2003 (les
chasseurs en demandent presque le double...), avec une «tradition» imposée
par les chasseurs : augmentations annuelles systématiques des plans de
chasse de 10 à 15 %.
Les sites où le grand public pouvait aisément
observer des chamois disparaissent les uns après les autres, au fur et à
mesure que les plans de chasse augmentent (Saou, Véronne,
Beauregard-Barret, Gigors...). On estime que plus de 50 % des chamois tués
le sont toujours aux mêmes endroits, dans ces sites peu éloignés des
routes et des villages.
Au milieu des années 90, des bénévoles de la
FRAPNA accueillaient gratuitement plus de 500 drômois ravis, pour leur
montrer des chamois, près des routes ou chemins et sans déranger les
animaux. Aujourd'hui, il est devenu quasi-impossible d'organiser ces
journées grand public, faute de sites permettant ce type d'observation.
Au rythme actuel, dans moins de cinq ans il sera
probablement impossible d'observer dans la Drôme des chamois non stressés,
à moins de 300 m, sauf dans les très rares zones naturellement protégées
par un relief accidenté et loin des routes et chemins.
Les nigauds confondent (certains font semblant de
confondre) sauvage et farouche. Ces mêmes nigauds disent (ou font croire)
que des chamois non stressés, qui laissent approcher l'homme à moins de
300 mètres sont domestiqués («dégénérés»). Comme le dit joliment un ami,
cette affirmation est bien sûr une «couillonnade», et le «dégénéré» n'est
peut-être pas celui que l'on croit...
Le chamois sauvage possède une distance de fuite
courte et ceci tout à fait naturellement. Ce comportement peu farouche est
génétiquement programmé : il est dû à la stratégie de fuite des chamois
devant les prédateurs ; stratégie qui ne consiste pas obligatoirement à
courir, mais à s'enrocher... Ce qui n'est pas naturel, pour un chamois,
c'est de fuir à 200 ou 300 mètres. La chasse élimine en priorité les
chamois qui ont un comportement naturel et au bout de quelques années, par
sélection régressive, seuls les chamois très farouches survivent à la
pression de chasse : une manipulation génétique effectuée à l'aide du
fusil...
L'impasse de l'approche comptable... ou le droit à
l'observation
Les biologistes de terrain découvrent chaque jour
un peu plus que l'impact de la chasse sur la faune sauvage ne doit plus
être perçue simplement sous le seul aspect comptable (l'effectif de telle
espèce est de tant d'individus, les chasseurs en tirent tant et il en
reste donc tant - plans de chasse). Cette approche simpliste, qui a servi
de base à la gestion de la faune sauvage chassable durant tout le
vingtième siècle, est désormais dépassée ; en matière de protection de la
nature, elle mène à une impasse.
L'impact QUALITATIF de la chasse se révèle au
moins aussi important que le seul impact en terme de tableau de chasse.
Tous les chasseurs ont bien senti le danger de ces nouveaux concepts. Dans
toutes les instances de «gestion», ils refusent par exemple de parler de
«dérangement», d'allongement des distances de fuite des animaux... Ces
modifications de comportement de la faune sauvage, induites directement
par la chasse, entraînent des baisses importantes des succès de
reproduction (stress, réduction des domaines vitaux, décantonnement,
élimination d'individus en phase de reproduction...) ; sans compter qu'ils
empêchent les observations rapprochées d'animaux peu farouches, les seules
observations qui intéressent le grand public (5).
Les chasseurs nous retournent l'argument en
prétendant que c'est le développement du tourisme nature et l'intérêt de
plus en plus marqué du public pour l'observation de la faune sauvage qui
stressent les animaux... Toutes les observations menées dans les grandes
zones naturelles NON CHASSEES en France comme ailleurs (réserves
naturelles et parcs nationaux sans chasse) montrent que le contact répété
et rapproché du public avec la faune sauvage n'induit pas de modification
notable du comportement naturel des animaux et que, en particulier, les
distances de fuite restent généralement faibles sur une population animale
toujours sauvage (évidemment) mais calme (les exemples abondent en Europe,
Afrique, en Asie, aux Etats-Unis...). Il en va autrement dans toutes les
zones chassées, où la chasse élimine forcément les animaux les moins
farouches et sélectionne inévitablement les individus méfiants, les seuls
qui, grâce à leur distance de fuite importante, ont une chance d'échapper
au tir.
Le développement d'un tourisme nature sur ces
populations sélectionnées artificiellement par la chasse peut s'avérer
particulièrement néfaste en augmentant le stress des animaux. Dans ce cas,
ce n'est pas l'observation par le public de la faune qui est en cause,
mais la chasse qui a sélectionné une population animale très sensible au
stress... Ce point d'éthologie est fondamental, en particulier pour les
oiseaux d'eau et les grandes espèces comme les ongulés.
C'est ce qui se passe actuellement dans le massif
vosgien, où la dynamique des populations de chamois devient inquiétante.
Trente années de chasse sur cette espèce (réintroduite en 1956 et début
des tirs en 1975) ont sélectionné les animaux les plus stressés, ceux
précisément qui supportent mal la pression du développement de la
fréquentation touristique. Permettre au plus grand nombre d'observer dans
de bonnes conditions une nature vivante non stressée ou encourager la
chasse pour satisfaire moins de 4% des citoyens ; voilà la seule bonne
question...
Derniers point : toutes les associations d'étude
et de protection de la nature doivent savoir que les chasseurs français
tentent depuis quelques mois de faire passer au niveau européen le nouveau
concept de «chasse durable». Le piège tendu aux protecteurs de la nature
est de fonder ce concept, uniquement sur l'aspect comptable de l'exercice
cynégétique. L'objectif clairement avoué étant de pouvoir chasser partout
et en particulier dans toutes les réserves naturelles ou les parcs
nationaux.
La clé du problème : l'argent et le pouvoir
Qu'en est-il du bruit qui parvient à la FRAPNA,
assurant que le chamois, qui n'est pas une espèce très prisée par le
chasseur drômois (6), servirait à alimenter les caisses des associations
de chasse (un bracelet de chamois se négocierait entre 300 et 500
euros...) ? Le sujet est tabou, la vente est soit-disant légale et rien ne
permet de prouver que le produit de la vente des chamois sert à alimenter
une économie souterraine (et pour une administration, le simple fait de
poser la question pourrait coûter son poste à un DDAF ou au Préfet) (7).
Après un peu plus de vingt années à suivre de très
près l'évolution de la chasse française et à vivre sur le terrain la
réalité de cette chasse, j'ai l'intime conviction que la clé du
radicalisme de la chasse française (exemple unique dans les pays
développés) est à rechercher dans les rapports très particuliers de la
chasse avec l'argent et le pouvoir. Si l'aspect convivialité existe bel et
bien, il sert d'habillage à un commerce excessivement juteux,une économie
opaque où se mêlent les intérêts privés, les luttes de pouvoir au sein des
fédérations de chasseurs et la politique.
Business rural...
L'exploitation du bien commun que constitue la
faune sauvage rapporte aux propriétaires fonciers, aux détenteurs du droit
de chasse, à certaines collectivités publiques des sommes pharamineuses.
Certaines huttes de chasse se louent 20 000 à 40 000 euros la saison, et
les sommes sont du même ordre pour les postes de tir sur les cols de
migration, les parts dans des chasses privées... Et tout est à l'avenant :
vente du gibier mort (8), ventes de bracelets pour les grosses espèces
soumises à plan de chasse, vente de chiens de chasse...
Certains journalistes prennent le risque
d'enfreindre le tabou de l'argent de la chasse comme Hélène Constanty dans
son livre particulièrement édifiant «Le lobby de la gachette», Seuil, mai
2002 («Chaque poste de tir se loue de 20 000 à 40 000 euros par saison. Au
noir, bien sûr...») ou Etienne Gingembre, dans le magazine Capital de
septembre 2002 «Une seule hutte - de chasse - peut rapporter 21 000 euros
par an, soit 210 000 euros pour 10 huttes... En liquide, donc non imposés.
Mais les services des contributions directes de Picardie sont priés de ne
pas faire trop de zèle pour mettre un terme à cette évasion fiscale...».
En 1999 et 2000, le rapport de la Cour des comptes accompagné d'un rapport
de dix pages de son Président est clair : la vitrine politique des
chasseurs (CPNT) bénéficie, directement ou indirectement, de l'argent
public qui transite sans contrôle au sein de la nébuleuse cynégétique
française; une nébuleuse où se mêlent dans la plus grande confusion
l'Etat, les intérêts politiques et les intérêts financiers privés. Un
système organisé ou le montant des sommes en jeu dépasse chaque année
plusieurs dizaines de millions d'euros. Ceci dure depuis plus de dix ans
avec la bénédiction de la République qui sait tout mais ne fait rien.
Proportionnellement, il n'existe pas plus de
truands chez les chasseurs que dans le reste de la société française.
Après tout, ce que dénoncent les journalistes et la Cour des comptes à
propos de la chasse, ce n'est ni plus ni moins ce qui se passe dans toutes
les structures au travers desquelles circulent des flux financiers
gigantesques de manière opaque et sans réel contrôle (9). Tout ceci est
bien banal ; je n'ai pas une vocation de Monsieur propre et si les
services fiscaux aiment être bernés c'est leur affaire.
Ce qui est insupportable sur le plan biologique et
éthique, ce qui m'est insupportable, c'est que ces pratiques s'exercent
sans retenue sur le dos de la faune sauvage au détriment du public et de
tous ceux qui sont sensibles à la nature.
J'entends certains autres nigauds me faire
remarquer qu'ils connaissent bon nombre de chasseurs sympathiques,
généreux et que leur compagnie est très agréable. Je partage cette
opinion... et alors ! Il faut être bien na ïf pour penser que le niveau
d'honnêteté ou de dangerosité d'une personne se juge à sa manière de se
comporter dans la vie ordinaire ou au bar-tabac du coin. C'est avant tout
le Système de la chasse à la française qui fait le larron et qui permet
aux nombreux petits malins d'en profiter tout en incitant le chasseur de
base à se taire ; par peur... ou par intérêt bien compris.
Un seul de jour de chasse en moins sur les oiseaux
migrateurs ce sont des centaines de milliers d'euros qui s'envolent pour
tous les loueurs de hutte, de cols de chasse... Un jour de chasse en
moins, accepté par un président de fédération de chasseurs peut lui coûter
son mandat (avec tous les avantages liés à la fonction) ; enfin, un jour
de chasse en moins préconisé par un technicien ou un ingénieur de l'ONCFS
ou de la DDAF et c'est sa carrière qu'il met en jeu! Compte tenu des
enjeux financiers colossaux et des risques énormes politiques ou
professionnels, jamais les chasseurs ne relâcheront leur pression de
chasse (même sur les espèces les plus menacées) sans y être contraints et
jamais les professionnels liés à la chasse ne diront ce qu'ils pensent
sans y être expressément autorisés (10). Le système est verrouillé et sous
contrôle (11).
J'ai demandé à plusieurs reprises aux services de
l'Etat chargés de la chasse de se «renseigner» sur le devenir des
bracelets de chamois dans les sociétés privées de chasse ou les ACCA. Je
n'ai pas pu obtenir de réponse précise. Qui osera un jour éplucher la
comptabilité de ces sociétés ou associations de chasse, d'enquêter sur tel
ou tel bruit qui fait état de la vente sous le manteau des grives ou des
bécasses, de profits réalisés par telle ou telle chasse privée, de tel
éleveur de chiens. Aujourd'hui, il n'existe aucune preuve que ces
comptabilités ne sont pas en règle ou que ces bécasses se vendent au noir
pour les fêtes de fin d'année à plus de 100 euros pièce... Malgré le
contexte et les révélations de la Cour des comptes, les enquêtes
officielles menées dans la Drôme (ou dans les autres départements) sur ces
sujets, en vingt ans, se comptent sur un ou deux doigts ; pour ne pas
connaître la température, ne pas utiliser le thermomètre constitue
sûrement la méthode la plus efficace.
L'alliance de la gibecière et de l'écharpe
tricolore
Quel avenir pour les CDCFS ? Dans un ou deux ans,
les textes réglementaires (loi de 2000) prévoient que de fait, ce seront
les chasseurs qui eux-mêmes fixeront le nombre des animaux à tuer et
probablement la liste des espèces chassables ainsi que les modalités de
chasse (12). Le CDCFS deviendra - cette fois-ci officiellement - une
simple chambre d'enregistrement et seuls les textes européens (que les
chasseurs essaient par tous les moyens de faire supprimer) pourront
limiter les dégâts. Voilà pour l'avenir de l'institution. Pour la faune
sauvage drômoise, le pire est probablement à venir. La pression va
s'accentuer sur toutes les espèces migratrices, aucune espèce ne sera
épargnée même celles qui sont en très mauvais état de conservation du fait
de la dégradation des milieux et des méfaits de l'agriculture (alouettes
des champs, bécasses, grives, canards, limicoles...). L'augmentation des
plans de chasse aux chamois se fera toujours au rythme de 10 % par an et
il est possible que la pression de chasse sur le tétras lyre s'accentue
encore un peu plus (13)... Combien de fois ai-je entendu ce point de vue
désarmant dans la bouche d'un chasseur (à propos des alouettes, des grives
ou du pigeon ramier migrateur) «tant qu'il y en a, on en tue, et si
l'espèce doit disparaître, autant qu'on en profite...».
Pour les deux prochaines années sur la liste des
caprices accordés aux chasseurs drômois par le Préfet figurent l'ouverture
de la chasse à la gélinotte et la destruction des martres en tous lieux et
en tout temps. Ça devrait se faire.
Ce n'est pas être cynique que de dire qu'en
matière de CDCFS nous n'avons pas encore touché le fond et que le temps
est venu de laisser couler l'institution, lui laisser toucher l'extrême
fond de la chasse française : seul espoir de rebondir. La roue continue de
tourner, le monde bouge, les consciences s'aiguisent chaque jour un peu
plus. Qui, au XVIIIe siècle, aurait pu imaginer un jour la séparation de
l'église et de l'état ? La très vieille alliance inébranlable et toute
puissante du sabre et du goupillon qui faisait et défaisait tous les
pouvoirs depuis des siècles... Jusqu'en 1905.
Aujourd'hui, ce sont les chasseurs qui, grâce aux
privilèges exorbitants accordés par le gouvernement de Vichy, font la
pluie et le beau temps dans le monde rural. C'est l'alliance de la
gibecière et de l'écharpe tricolore, inébranlable et toute puissante qui
dans nos campagnes fait et défait tous les pouvoirs depuis cinquante ans.
Soyons patients, un jour viendra où nous assisterons à ce qui est
aujourd'hui inimaginable : la séparation de la chasse et de l'Etat. Les
plus fous d'entre nous rêvent de l'année 2005... pour fêter 1905. Mais ils
sont fous, et puis Jacques Chirac n'est pas Emile Loubet. Les protecteurs
de la nature n'ont pas le choix : en attendant des jours meilleurs, il
faut mettre tous nos espoirs dans l'Europe, mener une guérilla juridique
sans merci, poursuivre nos travaux sur le terrain et continuer
inlassablement à communiquer en direction du public.
Osez !
Décomplexez-vous, osez dire haut et fort que vous
aimez les oiseaux, les fleurs et les papillons. Ne vous excusez plus en
rajoutant «la nature est utile et protéger la nature c'est aussi protéger
l'homme». La nature est belle, les papillons, les fleurs, les chamois, les
bouquetins sont beaux et nous les aimons sans honte, simplement pour ce
qu'ils sont et pour le plaisir gratuit qu'ils nous offrent quand, au
détour d'un sentier, on a la chance de passer un moment d'émotion en leur
compagnie.
Défendez avec fermeté votre droit à l'observation.
Décomplexez-vous et osez dire que vous vous fichez pas mal de leurs
traditions à deux sous qu'ils pratiquent en 4x4, portable à l'oreille et
carabine automatique dernier cri dans le coffre... La vraie tradition
c'est le bonheur simple qu'on éprouve à contempler une nature bien
vivante. A ceux qui vous reprochent de vous intéresser à la nature alors
que tant d'hommes souffrent, osez dire que vous n'avez pas de leçon à
recevoir et répondez-leur que le respect de la nature sauvage est plutôt
un gage de bonne santé morale et d'humanisme. Enfin n'ayez pas peur de
dénoncer la mainmise de 4 % des citoyens sur la nature durant plus de six
mois de l'année et réclamez fermement, au minimum, un jour de non-chasse
par semaine, le même sur l'ensemble du territoire national.
On vous fera sûrement le coup de "la mort qui fait
partie intégrante de la vie et que donc la chasse etc.". Et alors, la
belle affaire. Oui, la mort est indissociable de la vie et les
naturalistes que nous sommes, défenseurs des grands prédateurs (loups,
lynx, rapaces), sommes bien placés pour le savoir. Ce n'est pas une raison
pour accepter que cette mort soit infligée simplement pour se divertir en
s'adonnant à son passe-temps favori au mépris des autres et des lois les
plus élémentaires de la biologie. La chasse se justifie dans deux cas :
1/pour se nourrir en situation de survie
alimentaire et
2/pour se protéger des espèces qui, en absence de
prédateurs naturels, concurrencent les activités humaines, au point de
menacer la survie économique d'un groupe humain - et à condition que des
mesures de précaution élémentaires aient été prises (13).
La chasse peut se tolérer, en tant que loisir,
uniquement si elle s'exerce sur des espèces abondantes, traditionnellement
chassées et à condition de ne pas avoir d'impact négatif sur la dynamique
démographique de l'espèce, ni sur ses comportements naturels et tout en
respectant les activités des autres personnes qui fréquentent les mêmes
milieux naturels.
Conseil
Pour terminer, je conseille à la FRAPNA Drôme de
ne plus siéger au CDCFS, de ne plus cautionner ce «machin» comme disait le
Général. A moins de vouloir compléter efficacement une formation en
sociologie ou en psychiatrie, aujourd'hui il est inutile et même dangereux
de patauger, trois ou quatre fois par an, les deux pieds dans cette
ruralité-là. Même si, compte tenu de mon expérience professionnelle et...
de mon âge, je ne suis pas du genre à idéaliser l'âme humaine, je vous
assure qu'elle vaut bien mieux que ça.
A Loriol le 20 février 2004
Roger Mathieu
Lotissement le Carthaginois, 26270 LORIOL
1- Pour faire rapide et sans entrer dans les
détails, quelques exemples : continuer à autoriser les fédérations de
chasseurs (FDC) à lever l'impôt en supprimant de fait les contrôles sur
leur budget (ce qui a déjà montré toute son efficacité dans le
détournement d'argent en faveur des campagnes du parti populiste CPNT ; à
ce sujet lire l'article édifiant du magazine «Capital» de septembre 2002 :
«l'argent secret du lobby de la chasse») ; redonner aux chasseurs les
pleins pouvoirs dans toutes les instances officielles nationales traitant
de la chasse et de la faune sauvage ; redonner, au sein des FDC, le
pouvoir à CPNT (en supprimant le principe démocratique d'un chasseur, une
voix) ; supprimer le jour de non-chasse ; pouvoir chasser toutes les
espèces même les plus menacées durant plus de six mois par an ; accroître,
par tous les moyens imaginables, l'efficacité des méthodes de chasse sur
ces mêmes espèces ; reprendre en main les agents publics chargés de la
police de la chasse et l'ONCFS...
2- Le maintien du droit de non-chasse ne relève
pas d'un élan de bonté des chasseurs français, l'affaire avait été jugée
par la Cour européenne des droits de l'Homme et il était impossible pour
les chasseurs de déroger.
3- Transposé dans le domaine de la sécurité
routière : les excès de vitesse et l'alcool sont les deux causes
principales de l'hécatombe sur les routes, donc (selon le principe des
chasseurs) on peut parfaitement rouler avec des pneus lisses...
4- C'est le principe de précaution, mais à
l'envers : transposé à la sécurité alimentaire ça donnerait : un doute
persiste quand à la nocivité des farines animales chez toutes les espèces
à viandes servant à l'alimentation humaine. Le doute doit donc bénéficier
aux marchants de farines animales qui peuvent continuer à en vendre...
5- Le phénomène est particulièrement marqué pour
les oiseaux d'eau ; le dérangement par la chasse est massif, empêchant les
oiseaux de stationner en paix (consommation d'énergie) et de se nourrir
correctement. Sur un site donné, on calcule que le dérangement par la
chasse divise par dix le nombre d'oiseaux d'eau présents (lire «Effets du
dérangement par la chasse sur les oiseaux d'eau», Terre et vie, 2003 (4),
Tamisier A., Béchet A., Jarry G. et coll.). Dans la Drôme, plus de 90% des
oiseaux d'eau hivernant sont concentrés sur 10% des zones humides
disponibles : ce sont les zones où la chasse est interdite! Sans le
dérangement par la chasse, le nombre d'oiseaux d'eau hivernant et nicheurs
dans la Réserve Naturelle des Ramières du val de Drôme serait multiplié
par dix... Si vous voulez observer des canards sans difficulté sur le
Roubion, il faut vous rendre en pleine ville de Montélimar, sous le pont
du centre ville, où personne ne peut chasser! Ailleurs, sur le Roubion,
les chances d'observer un canard sont quasi-nulles et nous pourrions
multiplier les exemples.
6- Le chamois se chasse à l'approche,
classiquement en solitaire, sans toute la convivialité si prisée par le
chasseur de sanglier.
7- Je suis personnellement intervenu auprès du
Directeur départemental de l'agriculture et de la forêt de la Drôme pour
obtenir des réponses sur ces sujets, sans grand succès.
8- L'affaire a fait grand bruit dans la presse. Il
faut dire que l'information avait de quoi choquer : les services
départementaux de l'Office Nationale de la Chasse et de la Faune Sauvage
du Finistère ont mis la main, le 1er décembre 2003, sur deux braconniers
qui capturaient des rouges-gorges près de Morlaix afin d'alimenter (dans
tous les sens du mot) la filière d'une certaine catégorie de restaurants
du Sud de la France. Selon Yannick Huchet, responsable du service
départemental de l'ONCFS du Finistère, ces passereaux (protégés) se
vendent quelques 40 euros la brochette de six !
9- Le foot, le cyclisme... la politique, avec
toutefois une différence de taille c'est que dans tous ces autres «sports»
la justice de la République a commencé à faire un ménage efficace...
10- Et je mets au défi quiconque de me citer deux
exemples, en vingt ans, qui prouveraient le contraire. La lecture du
compte rendu de la réunion qui s'est tenue à Bruxelles, les 7 et 8
novembre 2002, sous l'égide de la Direction de l'Environnement de la
Commission (DG XI) qui réunissait les scientifiques, les chasseurs et les
protecteurs de la nature de toute l'Europe sur le thème de la protection
des oiseaux migrateurs est particulièrement édifiante. Les chasseurs
français veulent bien faire un effort à plusieurs conditions :
1/ qu'on ne touche pas aux tableaux de chasse des
chasseurs français,
2/ qu'on ne parle pas du plomb (qui tue des
dizaines de milliers d'oiseaux d'eau par ingestion - saturnisme),
3/ qu'on s'occupe d'abord d'étudier tout ça chez
les autres et.... dans dix ou vingt ans, on verra pour la France,
4/ si on doit faire des expériences de bonne
gestion cynégétique, il faut commencer par les zones protégées (si vous
ouvrez la chasse dans les réserves naturelles et les parcs nationaux, nous
promettons de mettre en place une gestion exemplaire dans ces milieux...).
11- On relèvera le parallèle très étroit existant
entre les deux formes majeures du «business rural» : l'agriculture
productiviste et la chasse. Même niveau de flux financiers, même opacité
dans la circulation de ces flux, même discrétion des contrôles, même
arrogance du lobby sûr de sa force et de son impunité et totale connivence
avec le pouvoir politique en place, qu'il «terrorise». L'actualité
récente, avec la mise en examen d'un ancien président de la FNSEA pour
détournement de fonds publics, quatre ans après un rapport alarmant de la
Cour des comptes (tiens, là aussi) permet d'espérer...
12- Légalement le Préfet pourra refuser les
propositions des chasseurs... Un doux rêve imaginé par le législateur pour
sauver la face.
13- Il n'existe pas de plan de chasse au tétras
lyre et l'administration ne se contente pas d'autoriser la chasse sur
cette espèce très menacée, de l'étendre depuis deux ans, mais donne aussi
aux chasseurs l'autorisation d'en tuer tant qu'ils veulent... sans
contrôle effectif.
14- Par exemple, garder correctement son troupeau
de brebis! Et ne pas s'en servir uniquement pour réaliser un placement
financier... (Attention, encore un sujet tabou!)
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